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jeudi 10 octobre 2013

Les partisans de Soral et Le Monde Diplomatique

Après les articles du Canard Enchaîné et de l’Humanité (voir ICI),  c’est Le Monde Diplomatique, un peu gêné aux entournures*, qui s’y met (Copie intégrale de l’article, voir ICI)

L'atelier E&R** (Egalité & Réconciliation) a écrit une très pitoyable et pleurnicharde réponse ICI. Il faut lire attentivement cette «réponse» car elle permet de comprendre à quel point d’abrutissement intellectuel*** en sont arrivés les membres de ce qu’il faut bien se résoudre à appeler une sorte de secte politique française d'orientation national-socialiste.

* Peut-être reviendrai-je un peu plus tard sur cet article tant il est révélateur qu'une sorte d'aveuglement idéologique perdure largement du côté de la gauche de la gauche qui s'aperçoit seulement maintenant que ses principaux hochets idéologiques ont été, via la "nouvelle droite", récupérés par l'extrême-droite fascisante ... 

** Si l'on prend la peine de lire les commentaires qui suivent cet article du site rouge-brun, on peut comprendre que les membres de cet "atelier" se prennent, tout étant relatif, pour des intellectuels ...

*** Le crétin inculte et de mauvaise foi qui, rapporteur de l'atelier d'E&R, a pris comme pseudo «Max Levy» écrit sans rire : «Il est évidemment diablement tentant pour ses adversaires d’agiter la menace nazie afin de le discréditer. Malheureusement pour eux, de plus en plus de Français se libèrent du carcan idéologique de la «gauche» et constatent que le nationalisme social français n’a rien à voir avec un projet de suprématie raciale germanique».


Or ni Évelyne Pieiller, ni les six spécialistes de science politique (voir ci-dessus) n’assimilent l’extrême-droite française au nazisme. «Max Levy» est, comme son guru cocaïnomane, tout simplement un paranoïaque qui s’ignore …CQFD

Ecouter Evelyne Pieiller ICI


Comprendre l’Extrême droite

Par Nicolas Lebourg, Joël Gombin, Stéphane François, Alexandre Dézé, Jean-Yves Camus et Gaël Brustier, « FN, un national-populisme» , Le Monde, 7 octobre 2013, p.15.

Marine Le Pen a fait savoir qu’elle souhaitait intenter des procès à ceux qui diraient de sa personne ou de son parti qu’il sont d’extrême droite. Elle a, entre autres, prétendu que cette étiquette constituait à ses yeux un fourre-tout, servant à amalgamer le Front national (FN) avec les mouvements radicaux. Cette position implique quelques clarifications de la part de chercheurs en sciences humaines et sociales qui travaillent sur les extrêmes droites et considèrent que le FN fait partie de cet espace.

Des extrêmes droites

Les termes politiques «extrême droite», «droite», etc., se mettent en place dès le début du XIXe siècle. Cependant, ils correspondent surtout à la vie parlementaire : jusqu’à la première guerre mondiale, les citoyens ne se situent guère eux-mêmes sur l’axe droite-gauche. Le mot «extrémiste» n’apparaît dans le débat public français qu’en 1917, la presse française l’utilisant pour fustiger les bolcheviques qui viennent de prendre le pouvoir en Russie. C’est désormais en réaction à «l’extrême gauche» que s’impose dans l’usage le terme «d’extrême droite». Dès l’origine, il a une connotation péjorative, ce qui explique que nul ne s’en revendique. On notera d’ailleurs qu’aujourd’hui encore, les extrémistes des deux bords récusent le terme quand il est question d’eux-mêmes, mais ne cessent d’en accabler l’autre bord.

«Extrême droite» est un singulier illusoire, comme c’est du reste le cas pour tout autre tendance du champ politique : il y a des extrêmes droites. En particulier, après 1918 se crée une division entre une extrême droite réactionnaire et une extrême droite radicale, révolutionnaire, qui souhaite l’émergence d’un «homme nouveau». Soulignons que, justement, le principe du Front national tel qu’il fut conçu par son initiateur, le mouvement Ordre nouveau, était l’union, organisationnelle mais non idéologique, de toutes les chapelles d’une extrême droite française dont la particularité historique est l’éclatement.

Définir l’extrême droite

Il existe des traits communs qui couvrent le spectre de cet espace. Ce sont eux qui empêchent d’amalgamer l’extrême droite avec d’autres camps politiques. Le coeur de la vision du monde de l’extrême droite est l’organicisme, c’est-à-dire l’idée que la société fonctionne comme un être vivant. Les extrêmes droites véhiculent une conception organiciste de la communauté qu’elles désirent constituer (que celle-ci repose sur l’ethnie, la nationalité ou la race) ou qu’elles affirment vouloir reconstituer. Cet organicisme implique le rejet de tout universalisme au bénéfice de «l’autophilie » (la valorisation du «nous») et de«l’altérophobie» (la peur de «l’autre», assigné à une identité essentialisée par un jeu de permutations entre l’ethnique et le culturel, généralement le cultuel). Les extrémistes de droite absolutisent ainsi les différences (entre nations, races, individus, cultures). Ils tendent à mettre les inégalités sur le même plan que les différences, ce qui crée chez eux un climat anxiogène parce qu’elles perturbent leur volonté d’organiser de manière homogène leur communauté. Ils cultivent l’utopie d’une «société fermée» propre à assurer la renaissance communautaire.

Les extrêmes droites récusent le système politique en vigueur, dans ses institutions et dans ses valeurs (libéralisme politique et humanisme égalitaire). La société leur paraît en décadence et l’Etat aggrave ce fait : elles s’investissent en conséquence d’une mission perçue comme salvatrice. Elles se constituent en contre-société et se présentent en tant qu’élite de rechange. Leur fonctionnement interne ne repose pas sur des règles démocratiques mais sur le dégagement «d’élites véritables». Leur imaginaire renvoie l’Histoire et la société à de grandes figures archétypales (âge d’or, sauveur, décadence, complot, etc.) et exalte des valeurs irrationnelles non matérialistes (la jeunesse, le culte des morts, etc.). Enfin, elles rejettent l’ordre géopolitique actuel.

Définir le national-populisme

La dynastie Le Pen incarne un courant bien spécifique de l’extrême droite : le national-populisme, qui s’est cristallisé lors de la vague boulangiste (1887-1889) et constitue depuis la tendance la plus classique de l’extrême droite en France. Le national-populisme conçoit l’évolution politique comme une décadence dont seul le peuple, sain, peut préserver la nation. Privilégiant le rapport direct entre le sauveur et le peuple, par-delà les clivages et les institutions parasites censées menacer de mort la nation, le national-populisme se réclame de la défense du petit peuple, du «Français moyen» de «bon sens», face à la trahison d’élites, fatalement corrompues. Il fait l’apologie d’un nationalisme fermé, se met en quête d’une unité nationale mythique et est «altérophobe». Il réunit des valeurs sociales de gauche et des valeurs politiques de droite (ordre, autorité, etc.). Bien qu’il recoure à une esthétique verbale socialisante, il prône l’union de tous après l’exclusion de l’infime couche de profiteurs traîtres à la patrie , ce qui implique de rompre avec l’idéologie de la lutte des classes.

Pour faire coïncider la nation et le peuple, il effectue des permutations entre les sens du mot «peuple». Le peuple, c’est le demos, l’unité politique ; c’est également l’ethnos, l’unité biologique ; c’est encore un corps social, les «classes populaires» ; et c’est enfin la «plèbe», les masses. L’extrême droite national-populiste joue sur la confusion entre toutes ces significations. La plèbe se donne à un sauveur pour qu’il brise son carcan et permette au peuple et à la nation sous une forme ethnicisée (culture, religion, civilisation pouvant faire office de marqueurs) d’exercer leur souveraineté. Débarrassées des parasites, les masses deviennent le peuple uni. C’est donc une idéologie interclassiste, à laquelle correspond bien le «Ni droite, ni gauche» tant vanté par Marine Le Pen, slogan repris, entre autres, du PPF de Jacques Doriot (1898-1945) dans les années 1930, vantant les valeurs «terriennes» contre les «fausses intellectualisations».

Définir le néo-populisme

Il y a moins de divergences entre les Le Pen et cette définition du national-populisme issue du XIXe siècle qu’entre Jean-Marie et Marine. Les différences entre le père et la fille proviennent avant tout de la façon dont cette dernière a inscrit son national-populisme dans la mutation néopopuliste qu’ont connue les extrêmes droites européennes depuis une douzaine d’années. Le discours de Marine Le Pen ne se préoccupe pas de l’édification d’un ordre et d’un homme nouveaux, il n’est pas fasciste, mais fait du Front national le parti de «l’anti-postmodernité», l’opposant par excellence à la liquidation de l’Etat-nation, à une société atomisée en individus autonomes.

Le néopopulisme en Europe constitue un hybride, à mi-chemin entre l’opposition globale au «système» et la participation à celui-ci, rendue possible par des succès électoraux conséquents. Des succès acquis grâce à la dénonciation d’un lien causal entre insécurité et origine ethnico-religieuse, et en opposant le «bon sens» naturel du peuple enraciné et le supposé dévoiement des élites mondialisées.
Au coeur du débat : la critique du multiculturalisme (qui en France n’a jamais existé comme dans le monde anglo-saxon) et du relativisme culturel masochiste et culpabilisant, qui a marqué une partie des gauches postcoloniales. L’une des innovations de ce populisme est de bâtir un programme politique d’exclusion, sur la base d’un retournement des valeurs de la philosophie des Lumières, ce qui permet de s’adresser à des électorats jusque-là hostiles aux extrêmes droites en raison de la nature des fascismes du XXe siècle (juifs, homosexuels, femmes, militants laïques).

L’instrumentalisation de la laïcité, à laquelle on suppose que l’islam serait par essence hostile, est un bon exemple de ce type d’inversion en France. Il permet au FN de prolonger sa vision déterministe des identités en l’habillant d’une phraséologie républicaine faisant aujourd’hui consensus. Dans ce nouveau discours, l’identité est essentialisée, fétichisée, invariante, fixée par l’espace, l’histoire et la tradition. Ce déterminisme est une négation des identités multiples, comme de l’autonomie de décision des individus.

Des débats

Telle est l’extrême droite. Elle est une réalité continue de notre histoire politique, non un anathème. Le national-populisme est installé dans notre vie politique depuis 130 ans. Il participe du système politique français de façon structurante. Le FN a évolué, étant aujourd’hui empreint de néopopulisme. Il respecte les règles légales de la compétition démocratique. Il n’y a pas plus de sens à le renvoyer à l’image de l’extrême droite radicale, en particulier du nazisme, qu’à le détacher de l’histoire de l’extrême droite française. Cet espace politique est pluriel, comme les autres. Il évolue, comme les autres. Il doit être l’objet de débats sereins, comme les autres.
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Ne ratez pas ICI l'avis du seul vrai spécialiste de la question ...

8 commentaires:

  1. Vous critiquez "Max Levy" mais vous reprenez son terme de "hochet" à propos de ce qu'écrit dit Le Monde Diplomatique

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    1. Voulez-vous dire que le fait de critiquer un discours interdit de reprendre certains mots de ce discours ?

      Le mot «hochet» appartient au vocabulaire polémique-critique des discours politiques. C’est un «bien commun». Si nous nous interdisions d’employer les mots de l’adversaire, nous serions depuis longtemps condamnés au silence.

      Mais votre question en soulève bien d’autres dont celle-ci : Comment lutter efficacement contre des discours simplistes d’un bonimenteur pseudo-marxiste sans soi-même recourir à des simplifications sémantiques para-marxistes ?

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    2. Mais que reprochez-vous à cet article ?

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    3. Je ne «reproche» rien au Monde Diplomatique en lui-même qui, dans le domaine des «publications sur l’actualité» est un des meilleurs supports ; ni encore moins à Evelyne Pieiller dont l’article est d’une très grande subtilité intellectuelle (Qui a évidemment totalement échappée au petit soldat politique obtus, rédacteur de E&R) – ce qui n’est pas très étonnant de la part d’une collaboratrice de la Quinzaine Littéraire (Publication, elle aussi, bien supérieure à ce qui se fait sur le même sujet dans le domaine de la presse).

      Je pense simplement que face à ce phénomène socio-politique qu’est l’incontestable succès de Soral, cet article n’est pas ce qu’il faut, que c’est, d’une certaine façon, continuer à le «cautionner» (On le comprend parfaitement quand on lit la réponse qui est faite à cet article sur le site d’E&R)

      J’ajoute par ailleurs, mais c’est une autre très vaste question, que de vouloir analyser un tel phénomène sans parler de tout le travail «métapolitique» qui a été fait précédemment par la nouvelle droite (Certes AdB est cité mais ce n'est pas suffisant) – travail qui a préparé le terrain intellectuel à l’acceptabilité de certaines thèses - c’est s’arrêter en chemin. C’est n’en faire qu’une analyse socio-politique.

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    4. Mais Alain Soral est en désaccord sur beaucoup de points avec Alain de Benoist. Soral, par exemple, est un nationaliste. De Benoist est un défenseur de l'Europe fédérale. Soral ramène tout à l'antisionisme, De Benoist ne le fait pas. Etc

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    5. Ce n'est certainement pas moi qui irait contester la différence de niveau intellectuel entre les deux Alain et donc aussi les analyses différentes qu'ils peuvent faire sur tel ou tel sujet. Reste que sur le plan politique, le brun-rouge est proche du rouge-brun et que c'est par "intellectualisme", dans le plus mauvais sens du terme (élitisme intellectuel), que bien des intellectuels - ou plutôt semi-intellectuels ... - ne veulent pas l'admettre ; à droite ... comme à la gauche de la gauche ; dans les rangs de la nouvelle droite comme dans ceux d'une gauche qui continue à se croire "idéologiquement révolutionnaire".

      C'est pour cette raison que je parle d'aveuglement idéologique persistant. Même si c'est pour de mauvaises raisons "Max Levy" n'a pas tout-à-fait tort lorsqu'il écrit que "les repères idéologiques de la gauche radicale volent en éclat face à la réalité". Contrairement aux années 30, il n'y a pas trois camps comme semble persister à le croire une certaine mythologie propre à la gauche de la gauche, il n'y en a plus que deux.

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    6. Que voulez-vous dire ?

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    7. Ce que je veux dire ici est que l’erreur d’une certaine partie de la «gauche la gauche» est de croire que l’on puisse - dans le monde tel qu’il est, dans le monde tel qu’il change en permanence - revenir au temps des idéologies, au temps des guerres idéologiques comme elles ont eu lieu dans les années trente. Ce alors que cette guerre, ils l’ont déjà perdu.

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